BIOGRAPHY Guillaume
Lekeu Guillaume
LEKEU (Heusy 1870 - Angers 1894) Guillaume
Lekeu Issu
d'un milieu aisé (son père est
négociant en laines), il commence à
apprendre la musique très jeune : dès
l'âge de six ans, il reçoit des cours
de solfège, de piano et de violon. À
cette époque, il se lie aussi
d'amitié avec Mathieu Crickboom, son cadet
d'un an. En mars 1879, sa famille émigre en
France, à Poitiers. Tout en prenant des
leçons de piano, de violon et violoncelle,
il accomplit au lycée de cette ville des
études générales brillantes.
Il a en plus la chance d'y rencontrer un professeur
de physique féru de musique, Alexandre
Tissier, qui lui révèle Beethoven.
C'est ce qui va décider de sa vocation. Il
se lance alors avec passion dans l'étude des
uvres du maître de Bonn, en particulier
ses derniers quatuors et sa 9è symphonie. Il
commence aussi à s'intéresser en
profondeur à Bach et à
Wagner. Peu
après (l'été 1885), il compose
ses premières uvres,
dédiées pour la plupart au violon,
mais il se diversifie vite, abordant la voix et
l'orchestre dès 1887. En 1888, il passe son
baccalauréat en philosophie, et
décide de se consacrer exclusivement
à la composition. Sa famille est alors
installée à Paris, mais il n'y
fréquentera pas le Conservatoire comme il en
avait d'abord eu l'intention. Un ami
rencontré récemment, Théodore
de Wyzewa (1862-1917), critique musical au Figaro
(qui se rendra célèbre plus tard avec
sa monumentale biographie de Mozart), le lui a
fortement déconseillé : il
travaillera plutôt en privé. Peu
après, il prend des leçons d'harmonie
chez un compositeur nancéien oublié
aujourd'hui, Gaston Vallin (qui, contrairement
à ce que l'on dit souvent, n'était
nullement titulaire du Prix de Rome). En
1889, il se rend au Festival de Bayreuth, dont il
revient fortement impressionné. À
l'automne, il est présenté à
César Franck : émerveillé par
les dons exceptionnels de son jeune compatriote,
celui-ci accepte de s'occuper de lui. Ce sera son
dernier élève ; bientôt, une
amitié profonde s'installe entre les deux
hommes. Peu après, Lekeu a la joie
d'entendre sa 1ère Étude symphonique,
qui est créée à Verviers par
Louis Kéfer, le directeur de l'École
de Musique, qui est un des premiers à jouer
ses uvres. La mort de Franck en novembre 1890
constitue par contre un choc terrible pour lui,
dont il se remettra lentement, et qui est
peut-être à l'origine de son
célèbre Adagio (opus 3)
composé l'année suivante. Entretemps,
il s'est tourné vers un autre
élève de Franck pour parachever sa
formation, Vincent d'Indy. Devenu lui aussi un ami
plus qu'un professeur, d'Indy lui suggère
bientôt de concourir pour le Prix de Rome
belge. Lekeu s'y présente en 1891, mais la
cantate qu'il compose à cette occasion,
Andromède, ne lui vaut qu'un second prix :
l'originalité de sa partition, les
influences wagnériennes que l'on y
décèle, le fait qu'il ait
préféré aller se former
auprès de Franck plutôt que dans son
pays, tout cela a joué contre lui, avec en
plus une rivalité entre les Conservatoires
de Bruxelles et de Liège qui ne le
concernait nullement. . . Très
déçu et choqué par cette
injustice flagrante, il n'est pourtant en rien
découragé et continue à
travailler abondamment. Le
18 février 1892, des extraits
d'Andromède sont donnés en concert
à Bruxelles. Présent dans la salle,
Eugène Ysaÿe est enthousiasmé et
commande au jeune compositeur ce qui deviendra une
de ses pages les plus jouées, sa Sonate pour
piano et violon. Elle sera créée en
1893 par le célèbre violoniste,
à qui elle est dédiée, avec un
très grand succès. La même
année, Lekeu remporte un triomphe en
dirigeant lui-même certaines de ses
uvres orchestrales en concert. Mais cette
carrière qui s'annonçait des plus
prometteuses va être interrompue brutalement
: en octobre de la même année, il
mange dans un restaurant un sorbet infecté
de bacilles typhiques. Inconscient de la maladie
qui commence à le miner, il envisage alors
de se marier avec la fille d'un industriel
verviétois, mais bientôt la
fièvre typhoïde s'installe, et il meurt
en janvier 1894, au lendemain de son
anniversaire. Étant
donné la brièveté de son
existence, l'abondance de son catalogue
étonne : on y dénombre plus de cent
titres, appartenant aux genres les plus divers,
pièces pour piano et pour orchestre, musique
de chambre, mélodies, fragments
d'opéras. Bon nombre de ces pages sont
restées inédites, et il est certain
que toutes ne sont pas des chefs-d'uvre
(beaucoup ont été écrites
à titre d'exercice), mais l'on y voit
éclore et se développer une
personnalité hors du commun, et les
meilleures d'entre elles situent leur auteur parmi
les plus grands. Le
style de Lekeu procède directement de
Beethoven, de Wagner et de Franck, ce qui ne l'a
pas empêché d'acquérir
très vite un tour profondément
personnel. Néanmoins, ce qui frappe le plus
à l'audition de sa musique, c'est sa
puissance et sa diversité expressives,
reflet de son tempérament passionné
et tourmenté à la fois. Il passe
ainsi sans cesse de la douleur à la joie, de
la mélancolie à la fougue, de la
désolation à l'exubérance. De
ce point de vue, c'est un musicien
profondément romantique. Il a dit
lui-même : "Je me tue à mettre dans
ma musique toute mon âme" et "Je ne
veux traduire en musique que des émotions
ressenties". Dans plusieurs de ses uvres,
c'est un plan expressif qui a présidé
à la structure : la succession des
sentiments dépeints crée en partie la
forme. C'est particulièrement vrai dans ses
pièces de chambre, ce qui a fait dire qu'il
avait créé la "musique de chambre
à programme", ce qui excessif, car à
deux exceptions près, ses compositions ne
portent pas d'autre titre que le genre auquel elles
appartiennent (sonate, trio,. . . ) : si intense
que soit leur contenu expressif, elles ne peuvent
être assimilées à de la musique
à programme. Cet aspect est à
l'origine d'un reproche qui lui a parfois
été adressé :
contrairement à Beethoven et Franck, qui
coulent l'inspiration la plus passionnée
dans des structures très solides, Lekeu se
laisse parfois emporter par son imagination
débordante au détriment de la forme.
C'est toutefois un défaut mineur, qu'il
aurait certainement éliminé si sa
carrière ne s'était pas interrompue
si tôt. Pour
l'harmonie, c'est un pur franckiste, poussant la
tonalité dans ses derniers retranchements
par le chromatisme, les modulations permanentes et
une certaine modalité. Il reprend
également à son maître la forme
cyclique, qui consiste à faire circuler
certains éléments thématiques
d'un mouvement à l'autre au sein d'une
uvre. Ses lignes mélodiques,
très chantantes, révèlent
aussi l'influence de Franck par leur
écriture ample et sinueuse, mais avec, au
moins dans ses dernières uvres, des
tournures qui n'appartiennent qu'à
lui. De
ses pages pour orchestre, on retient surtout
l'extraordinaire Adagio pour quatuor d'orchestre
(opus 3) composé en 1891. D'une immense
nostalgie, la partition est aussi d'une grande
richesse polyphonique, on y trouve jusqu'à
sept parties de violon, cinq d'alto et cinq de
violoncelle. Lekeu apparaît ici comme un
précurseur de l'expressionnisme des
premières uvres d'Arnold
Schnberg, en particulier le sextuor
Verklärte Nacht. Également
remarquable, la Fantaisie sur deux airs populaires
angevins (1892), qui raconte une rencontre
amoureuse dans un bal, révèle
l'intérêt de Lekeu pour le folklore de
l'Anjou. On l'a parfois rapprochée de la
Symphonie cévenole de Vincent d'Indy. Moins
connue, la Fantaisie contrapuntique sur un
cramignon liégeois (1890) est d'un tout
autre esprit, rare chez Lekeu : c'est une fugue
humoristique sur un thème de danse
populaire, le cramignon, où le compositeur
montre son attachement à son terroir en
parodiant l'écriture polyphonique scolaire.
On retrouve davantage son style habituel dans ses
deux Études symphoniques, dont la seconde
est la plus réussie. Dans
sa musique de chambre, la première place
revient à la Sonate pour piano et violon
(1892). De caractère très
mélodique, elle présente moins de
débordements passionnés que d'autres
partitions, mais y gagne en équilibre.
L'union des deux instruments y est également
magistrale. Il faut citer ensuite le Quatuor pour
piano et cordes (1893), inachevé suite
à la mort du compositeur (il se limite
à deux mouvements, le second
complété par Vincent d'Indy). C'est
de nouveau une page à l'atmosphère
passionnée où, comme il a dit
lui-même en la composant, "aux cris de
souffrance succèdent de longs appels au
bonheur, où des cris d'amour
succèdent au plus morne désespoir,
cherchant à le dominer comme
l'éternelle douleur s'efforce
d'écraser la joie de vivre". À
côté de ses deux titres, on retiendra
aussi la Sonate pour violoncelle et piano, le Trio
pour violon, violoncelle et piano et deux pages
brèves pour quatuor à cordes,
Méditation et un Molto adagio illustrant les
paroles du Christ au Jardin des Oliviers : "Mon
âme est triste jusqu'à la
mort". Pour
le piano, il n'a laissé que quelques pages
d'importance relative, dont les meilleures sont
l'Andante en sol mineur, la Sonate et le recueil
Trois pièces, mais il s'intéressait
plus à la musique d'ensemble. On retiendra
aussi ses mélodies, surtout les Trois
poèmes, au caractère quasiment
impressionniste, dont les textes sont de lui, ainsi
que la cantate Andromède, qu'il qualifia de
"poème lyrique et symphonique". Au vu de ce
qu'il était déjà parvenu
à écrire avant l'âge de
vingt-quatre ans, on s'est souvent demandé
comment Lekeu aurait évolué
musicalement sans sa mort prématurée.
Tout porte à croire qu'il serait devenu un
des compositeurs les plus importants de la
première moitié du XXème
siècle. Thierry
LEVAUX
(Dictionnaire des Compositeurs de Belgique du
Moyen-Âge à nos jours)